Sophie Chaintrier - Là où je suis, j'allais déjà

Du 21 décembre 2017 au 11 mars 2018

Sophie Chaintrier est le peintre de Vedute sur une couche de temps assez mince et qui est celle à laquelle on se réfère lorsque l’on dit «toujours» : il en a toujours été ainsi.

Il  ne  s’agit  pas  ici  de  Vedutisme  au  sens  de  la  précision  de  la  représentation  en  perspective  de
paysages urbains, pas de prospettiva pingendi, mais une pratique de la peinture figurative visant à produire
les souvenirs tangibles de l'un de ces voyages dont on dit qu'ils forment la jeunesse.


Veni, vidi, vixit sum*.


Historiquement, les souvenirs rapportés du «grand tour», de ses étapes remarquables et édifiantes par
les jeunes aristocrates du XVIIIe, fondent et forment cette tradition du souvenir par l'iconographie. Les cartes
postales en étaient les rejetons frivoles et glacés, Whatsappen est l'avatar le plus récent.


Ces peintures sont celles de la dernière page de l’Histoire qui s’est bien terminée (la bombe n'en fut pas l'issue
pertinente), et qui raconte les classes moyennes parties en excursion dans les Alpes ensoleillées, parcourir les
galeries de musées aux collections sophistiquées, se reposer aussi, dormir peut-être, partir un peu. Sophie
Chaintrier repeint les images d’un monde duquel tout labeur a disparu, un monde de loisirs et de culture.Ces
images peintes ont gardé de la tendresse pour une époque qui exprimait les distances en kilomètres, et qui
produisit des archétypes que la contemporanéité peine encore à faire disparaître: la gare à sans doute
encore un chef, et le wagon un restaurant.


Dans  des  cadres  aux  dimensions  réduites  l’artiste  figure  en  saynètes  à  l’esthétique  Kodacolor  des
souvenirs de loisirs qu’elle colorie ensuite intégralement, comme on post-produirait des souvenirs.
Si  chacun  sait  ce  que  la  mémoire  doit  à  la  photographie,  quid  alors  de  la  mémoire  produite  par  la
photographie peinte? du souvenir d’une image recouverte par la peinture même? D'une surface recouverte
d'une épaisseur? D'une représentation habillée d'une expérience?La mise en peinture de la représentation
réalise le passage de l'objet au symbole et fait que trois bouts de papier dans un certain ordre assemblés
peuvent devenir un objet mémoriel. Non plus une image, mais un symbole.


Le  tableautin  rapporté  a  valeur  de  trophée,  il  est  la  preuve  tangible  du  périple,  la  garantie  du  voyage
comme expérience marquant le seuil du passage à l'âge adulte, l'entrée dans le monde social.
Rapporter un objet singulier comme preuve d'une expérience personnelle fondatrice, c'est ce que fait le
collectionneur lorsqu'il revient de l'exposition avec sous le bras un trésor à partager.


Les peintures de Sophie Chaintrier nous rappellent la place et le rôle qui est celui de l'art dans la
constitution de nos existences.


Sylvain Sorgato


* je suis venu, j'ai vu, j'ai vécu